Les lumières qui s'agitent révèlent de temps en temps les silhouettes dansantes, leurs vêtements si tenté qu'ils soient potables, et les coiffures de celles-ci. C'est plus difficile de cerner les traits du visage de quelqu'un. Je me mêle à la foule, profitant de chaque temps de la musique résonnant aux quatre coins du Nightclub. J'adore cet endroit, j'm'y retrouve rarement avec mes potes. J'y suis généralement accompagnée de mon frère ou seule, ce qui importe peu car une fois la fermeture proche, je me retrouve toujours seule. Ce soir, cette nuit plutôt, j'suis arrivée avec mon double. Il est près du bar, à chercher une nouvelle âme à dévier du droit chemin, tandis que je me perds au milieu de la piste dans les vibrations musicales que j'aime tant. Contrairement à mon alter ego, je ne suis pas du genre à repartir avec d'autres personnes, tout comme j'apprécie nullement le contact physique comme accroche avec quelqu'un.

Les lumières qui s'agitent révèlent de temps en temps les silhouettes dansantes, leurs vêtements si tenté qu'ils soient potables, et les coiffures de celles-ci. C'est plus difficile de cerner les traits du visage de quelqu'un. Sauf quand les lumières se posent sur le visage d'une personne pile quand vous vous retournez vers elle. J'apprécie nullement le contact physique. Pourtant là, maintenant, alors que je profitais d'un temps pour moi, je me retrouve avec la main d'quelqu'un au cul. Le visage d'une personne s'illumine exactement au moment où je me tourne pour démasquer l'individu à qui appartient cette main. J'sais pas s'il a eu le temps de capter le changement d'expression que je venais d'arborer, mais il risque de vite le sentir. J'suis pas du genre à réfléchir, encore moins quand on s'permet d'entrer en contact avec moi de cette manière, alors si tenté que le gars pense que j'allais tomber sous le charme ou j'sais pas quoi, il se retrouve vite avec ma main dans sa gueule. Le temps s'est arrêté. Pour moi. Les autres continuent de danser, de bouger leurs corps avec ou sans rythme, l'art de la pénombre des Nightclub leurs donne l'avantage, on ne voit pas trop les défauts. Je suis sur les nerfs, et le gars a pas l'air de mal le vivre.

Il cherche pas à me rendre mon coup, il me gueule dessus, et en plus j'sais pas, j'ai l'impression de l'avoir déjà vu. Je fronce légèrement les sourcils, puis je finis par regarder autre chose que sa face pas trop amochée. Il a une tournée de verres en mains, enfin, ce qui lui en reste. J'suis pas du genre à m'en vouloir pour ce que je fais subir aux autres. Je garde mon calme, puis je me baisse pour récupérer le plateau qui s'était barré sur le sol crasseux de la boîte. Faute à tout ces inconscients qui viennent sur la piste leurs verres en main. Une fois à nouveau debout je jette un bref coup d'oeil à ce gars, puis je lui passe à côté. Il m'a rien fait.

C'est sûr. Il aurait pas pu le faire, et il avait pas l'air d'être le genre de gars à le faire non plus. J'avance lentement au milieu de la foule en sueur qui commence à me faire tourner la tête de par leurs mauvaises odeurs. On dirait une âme errante au milieu d'une horde de morts vivants en rûte. Quatre bières. C'est ce qu'on peut tenter de déchiffrer sur le ticket puis l'odeur m'est quelque peu familière tout de même. Quatre bières. Jusqu'à ce qu'on ose désarmer mon corps, il était libre, profitait, et rien n'avait d'importance. Ni mes problèmes, ni les autres autour, ni le fait que j'étais ici seule, avec mon frère mais seule quand même. Quatre bières. Ce gars profitait d'un moment partagé avec d'autres personnes, et j'ai tout gâché alors que personne m'attendait, ni moi, ni les bières que j'aurai pu apporter à quelques amis. Je finis par arriver au bar, j'sais pas où est le type, et je m'en ficherai presque, si j'avais pas à le retrouver, mais je commande quatre bière. Faudra que je le retrouve.

Tandis que la serveuse prépare la commande, j'essaie de me souvenir où est-ce que j'ai pu voir sa tête, putain. Je me remémore sa face que j'ai pas vu si longtemps que ça, pour essayer de fouiller dans des bribes de mémoire où est-ce que j'ai pu voir cette belle gueule. Je traîne souvent dans les mêmes coins, alors je me dis que j'ai dut le voir quand j'étais avec Maads, ou d'autres ghoulies. Sûrement pas en cours. Un ghoulie.. Probablement ça, j'ai pas dut le voir beaucoup par contre, car les autres j'arriverai à les décrire les yeux fermés. J'espère qu'il m'en veut pas trop, c'est vrai que pour le coup, non seulement on est dans le même camp, mais en plus il n'a rien fait, parce que des ghoulies pervers, ça existe quand même, aucun clan n'est épargné par ce genre de personne.

La serveuse finit par me crier dessus. Je me suis perdue. J'la regarde un peu comme un ado qu'on vient de réveiller alors qu'il s'était endormi sur sa table de cours, puis j'lui donne les sous avant de récupérer les bières. Une fois que j'tiens bien la commande, je fais demi-tour, putain il a dut galérer, parce que là j'vois le parcours du combattant devant moi. Tant pis, faut assumer, allez Aura, avance, et tente de le retrouver. Il doit soit être là, dans la foule, soit à sa table. J'avance prudemment, pour pouvoir rejoindre les tables qui sont derrière la piste de danse. J'crois qu'il est là, j'sais pas, j'sais plus, je m'approche, puis j'arrive devant une table où il y a plusieurs verres de bière déjà, puis y'a un gars qui ressemble un peu à celui de tout à l'heure.

« Tenez. »

J'dépose le plateau sans conviction, sur la table, j'regarde aucun des autres types, puis je vais m'asseoir à une autre table, regardant ainsi la foule de morts-vivants en rûte. Ma soirée s'est arrêtée, et je rentrerai seule, dans pas longtemps, pour l'instant c'est ma chanson favorite. Je ne remarque même pas la présence d'un individu à mes côtés, que ce soit celui que j'ai frappé, celui qui m'a touché, ou un gars lambda, je ne saurai dire. Personne n'existe pour le moment. Seulement moi, et la voix de cette chanteuse.

Ce n'est qu'à la fin de la musique que je finis par me rendre compte qu'une personne s'est installée à mes côtés, je recule d'un coup avant de finalement lever les yeux au ciel. Je hausse les épaules quand le gars à mes côtés, qui se retrouve être celui à qui j'avais foutu une droite, finit par me parler. « Merci pour les verres, mais t’étais pas obligée tu sais… ». Non. Je ne l'étais pas. C'est certain. Je regarde ailleurs puis j'aperçois mon alter ego danser avec une autre silhouette.

« J'irai pas dire que ça m'fait plaisir, parce que bon, j'devais bien l'faire, mais j'imagine qu'on doit s'entraider, même si je t'ai mis un pain, non ? »

Un léger rire m'échappe, bon ok j'éviterai de le mentionner une fois de plus, à qui que ce soit. Il sait même pas pourquoi je l'ai salué avec mon poing. Ca n'a pas d'importance. Le gars doit être parti en plus. Du moins j'espère. Une autre musique retentit, mais la tonalité est suffisamment faible pour que je puisse continuer de parler.

« J'ai personne d'autre à qui offrir de verres, et j'te devais bien ça. »

La musique est entraînante, à vrai dire je crois que ce n'est plus suffisant pour moi. Cette musique qui caresse pourtant mes tympans avec une certaine douceur, cet endroit où on peut se retrouver caché de tous en un instant à cause des jeux de lumières. Je crois que ce n'est plus suffisant, oui. J'ai envie d'aller danser, mais mon corps reste immobile, comme s'il avait trop donné, ou comme s'il y avait un dysfonctionnement. J'essaie de me redresser un peu, en faisant attention de ne pas me vautrer, ce serait bien trop jouissif pour certains gars qui semblent regarder vers nous. Les potes de ce type, oui, je les avais pas vraiment observé avant. Une fois les pieds sur le sol, je me tourne vers ce gars.

« Après tu peux me remercier aussi avec un verre mais, déjà, ça n'en finirait pas, puis tes potes doivent t'attendre de toute façon, j'vais pas t'déranger plus longtemps, Mason. »

J'ai réussi à retrouver son putain de nom. Merci la mémoire, et merci Maads. En revanche, je doute qu'il connaisse le mien, puis j'le lui donne pas pour autant. J'aurai dut prendre cinq bières, pour au moins en récupérer une sur le plateau, mais bon, sur le coup, c'était un peu trop le rush dans ma tête. Tant pis. Il faut braver la foule à nouveau, mais au moins j'aurai pas à me balader avec quatre bières au milieu de ces.. personnes.

Au rire de Mason, j'finis par sourire, puis après c'est un petit éclat de joie qui me prend. Bien sûr, j'connais son nom, il est faussement étonné, je pense qu'il doit s'douter de qui vient la fuite d'information. Ah, ma petite Maads. Elle aimait bien passer du temps à la mécanique, avec Mason et son oncle. J'suis pas trop douée en mécanique, alors j'reste pas souvent avec elle, où je me faisais un peu discrète. Je connais son nom, et il ne connaît pas le mien, et ça m'donne le sourire, ouais.

Cela dit j'arbore une expression un peu plus calme une fois que j'entends la suite des paroles de ce cher Ghoulie. « T’en fais pas pour eux va… Sincèrement, j’sais pas c’que j’fous ici avec ces gars… » , dit-il, sans même porter un regard à la table que j'avais fournie en breuvages. J'suis un peu surprise, pour le coup, il n'a pas l'air d'être à l'aise ni même d'avoir envie d'être là, en fait, pourtant il est bel est bien présent. Il voulait pas être là, il s'est prit un pain, et il me tend maintenant sa bière remboursée par mes soins. « On la partage ‘copine de Maads’ … ? ».  

J'm'étais préparée mentalement, enfin, un peu, à affronter la foule, mais j'dois dire qu'en un rien de temps l'idée même de faire un pas vers le bar disparaît. J'récupère le verre afin d'en prendre une gorgée seulement, il faut prendre le temps de savourer, surtout si on divise la quantité par deux.

« C'est un oui. »

Bien sûr, j'aurai pu me présenter, là, j'ai juste été tentée de profiter de cette boisson en premier. J'suis proche de Maads, d'autres ghoulies aussi, mais c'est rare que je me retrouve avec un seul membre, comme ça, bon clairement j'pense bien que ce genre de situation ne se reproduira pas forcément, mais même dans un monde logique, j'veux dire, j'me retrouve toujours soit qu'avec Maads, soit en bande. Je me réinstalle près de Mason, finalement, puis j'lui tend la bière, on risque de passer la soirée à se faire la passe. Cela dit ça a plus de goût qu'une balle. J'regarde la piste, sans pour autant trouver ce que je cherche. Qui je cherche.

« Ces gars.. Boivent mes sous. »

C'est tout ce que j'arrive à sortir pendant ma quête « Où est mon putain de frangin ? » puis je finis par laisser tomber, soupirant un peu plus fort que je l'imaginais.

« Aura. Aura Wang. J'suis pas trop douée avec les voitures, alors, j'viens avec mon appareil photo, puis j'laisse Maads s'éclater, elle serait trop heureuse de me voir essayer la mécanique, parce que je paie cher pour mes cheveux et que si je m'en mets partout j'aurai l'air d'une princesse dans un tas de boue. »

Rien que l'image d'une telle scène me ferait autant rire que Maads, je crois que même son oncle sortirait son téléphone pour prendre ça en photo. J'ai pas peur de me salir, mais mes cheveux quoi. Un petit coup d'oeil sur Mason, je finis par lever les yeux au ciel.

« Enfin bref. Merci. Même si t'as pas envie d'être avec eux, t'étais pas obligé de venir avec moi. Et.. J'sais que c'est du suicide, là, de passer au milieu de ces gens.. Mais une fois à l'autre bout, on pourra toujours se fournir en bières comme on veut, ça te dit ? Promis, j'finirai pas par me lamenter sur ma vie, étalée sur le bar, en te prenant pour le serveur qui en aura quelque chose à foutre. »

« J’suis toujours partant pour de la bière ! Peu important la compagnie, sauf que là – à moins que tu n’me forces à m’taper une nana – je préfère de loin la tienne… » J'observe les collègues de Mason, puis je finis par comprendre, j'ai 16 ans mais j'suis pas trop stupide non plus. Il n'est pas comme eux. Peut-être qu'il aime profiter de soirées avec des femmes, des hommes, peu importe, mais pas de cette façon ? C'est pas comme si j'allais lui d'mander, parce que bon, j'veux pas le souler. Il reste avec moi, mais ça veut pas dire que c'est ce qu'il voudrait faire non plus. J'sais bien que si cet endroit ne lui est pas spécialement plaisant, c'est sans doute pas ma compagnie qu'il devrait préférer. Il reste peut-être parce que j'suis une ghoulie. On se soutient, tous, je veux dire, j'ai toujours défendu ma famille, sous entendu les ghoulies. J'suis là s'ils ont besoin, ils sont là si j'en ai besoin. Mais on a nos potes, c'est différent. Même si y'en a aucun que j'aime pas, y'en a qui sont pas forcément dans les mêmes délires, j'sais pas. En tout cas j'serai pas trop seule, mon frère peut s'en aller sans crainte, d'habitude il s'assure quand même que j'arrive à bon port, une fois qu'il n'est plus là, il sait que j'sais me défendre, que s'il m'arrive une merde je m'en sortirai. Il a pas peur pour moi. Il n'a jamais vraiment eu peur pour moi. On a le même âge, normal, c'mon jumeau, mais il est pas spécialement dans le délire, bien sûr il est pas parfait, mais il se bat pas spécialement, j'le protège parfois, surtout que là notre lycée pour la rentrée c'est le northside. J'finis par l'apercevoir d'ailleurs. Je regarde Mason, puis j'me lève.

« Ca marche. On a encore un deal ! » Je dis suite à ses paroles, avant de poursuivre. « J'reviens juste.. Un instant. Puis on pourra y aller. »

J'laisse Mason là, pour m'approcher de la foule, pas trop loin car mon frère en sortait. J'lui parle vite fait. « Fais attention, et t'inquiète, enfin, j'suis avec un gars, un Ghoulie, même s'il part de toute façon, tu sais, que ça ira. A demain. » J'ignore totalement la personne l'accompagnant, j'm'en fiche, parce que j'accepte aucune personne à ses côtés, parce que je sais que dans deux jours il y aura quelqu'un d'autre, et qu'elle sera plus qu'un autre numéro dont on oublie d'effacer le numéro. J'souris à mon frère, puis j'le laisse partir, revenant vers Mason sans pour autant trop m'approcher, j'lui fais comprendre qu'on peut y aller, qu'il peut me suivre pour braver la piste bondée. Une fois qu'il est à mes côtés j'avance avec lui, direction le bar, pour je l'espère une dernière fois, parce que bon, on perdrait du poids à braver ses silhouettes recouvertes de transpiration. Une fois au bar je laisse Mason commander, il paie. Il l'a dit, d'ailleurs il semble croire que j'suis ruinée, en fait j'suis pas bien riche, mais la culpabilité de mes parents fait qu'on s'en sort pas trop mal. Je m'installe sur un tabouret puis je sors un élastique pour m'attacher les cheveux, il fait trop chaud, j'ai l'impression que j'viens de finir un marathon alors que j'ai juste filé au milieu d'une marée humaine déchaînée.

« Tu sais, j'suis pas non plus.. Dans le besoin hein. »

Bon j'voulais quand même rappeler que j'avais pas 0 sous en poche. Mes parents m'en donne, plus qu'il n'en faut, ils gagnent bien, mais j'en oublie presque ce qu'ils font dans la vie tant ils sont absents. J'me fais des sous aussi, réparer des ordinateurs ça paie, puis bien, surtout que certains savent que t'es douée, et t'appellent pour un rien. Tu change deux trucs et ils pensent que t'es un héros, puis toi, tu te fais 50 balles. Non sans rire, dans le nord surtout, ils sont un peu bêtes. J'sais pas trop quoi dire, finalement, il me prend déjà pour une précieuse qui aime pas la boue, il doit me trouver stupide, ou à moitié conne en tout cas, m'enfin bon, si on est amenés à se revoir, autant profiter de cette soirée pour se connaître, surtout si on a besoin l'un de l'autre un jour. Bah ouais, j'me déplace pas toujours à pieds, j'sais que j'peux compter sur Maads pour la mécanique, mais il lui apprend des trucs, donc on sait jamais.

« Ca fait longtemps que t'es dans le coin ? Parce qu'avant.. De t'voir avec Maads, j'pense pas t'avoir croisé. »

On a pas le même âge, ouais, mais ça n'empêche que si c'est un frère, comme j'aime à les surnommer, j'aurai sûrement dut le croiser. Hors il ne me dit pas grand chose non plus. Puis faut bien dire un truc, quitte à parler d'autre chose que moi, parce que j'sais que j'peux partir dans un monologue si c'est ma propre personne le sujet.

J'observe tranquillement la scène, Mason laissant la dernière place assise à une femme arrivée en même temps. C'est du joli, au moins c'est un bon gars, j'le vois de plus en plus. Il aurait décidément pas fait ce pourquoi je lui ai foutu cette baffe. J'souris, récupérant la bière et je trinque avant d'en prendre une gorgée. Je le remercie quand même, parce que bon, j'sais pas, même s'il m'a dit qu'il paierait, j'me sens obligée d'avoir un minimum de courtoisie. J'suis pas un animal sauvage, j'suis pas comme ils nous décrivent, ces fous du nord. Bien sûr y'en a qui sont pires que moi, et ça peut peut-être s'comprendre qu'on nous prenne pour des tarés, mais j'm'en fous, parce que c'est pas chez eux qu'j'aurai trouvé une famille pareille. « Non. Ça ne fait que 2 ou 3 semaines que j’suis arrivé… C’est dingue parce que je suis né ici, mais j’ai l’impression d’être un vrai étranger ! » Je m'en doutais presque, que ce serait récent, aussi récent que l'arrivée de Maads chez moi. S'il est pas v'nu depuis longtemps c'est clair qu'il doit être perdu, retrouver Riverdale aujourd'hui pour quelqu'un qui aurait loupé ne serait-ce qu'une année c'est pire que ma baffe qu'on se prend dans la gueule. Il me retourne la question, finalement, j'observe la cigarette, un bref instant, pas que j'en veuille une, non, juste comme ça, puis j'reprends un peu de ma bière. J'bois vite, j'sais, mais bon, c'est pas trop grave. C'est que d'la bière, là.

« J'ai jamais bougé d'ici, née ici, et élevée ici. J'crois pas que j'bougerai un jour.. J'suis pas la plus à plaindre non plus. »

J'sais que j'dois pas parler d'moi, on m'le reproche trop, mais finalement il est aussi mystérieux qu'moi. J'regarde finalement la piste, personne de précis, vu que mon frère est plus là, plus besoin de m'en inquiéter.

« Et t'as atterri dans notre famille. Bon retour et bienvenue, du coup ! » J'souris, puis j'continue ma boisson, m'efforçant de me ralentir, mais c'n'est qu'une pensée à jamais non respectée. « T'étais parti pendant longtemps du coup ? J'veux dire.. J'crois que j'serai perdue si j'revenais pour retrouver Riverdale dans cet état. Bon, les gars du nord seraient encore plus choqués, j'pense bien. »

J'pose des questions, sans pour autant l'gêner, j'veux dire il a pas envie qu'une gamine qu'il sauve de la solitude le questionne autant qu'un flic. J'aime bien en apprendre sur les gens, parce que j'suis curieuse et sociable, parfois un peu trop sans gêne, mais là, j'sais pas j'le sens pas spécialement. Peut-être l'âge, quoi que, non, ça n'a jamais vraiment été un problème. On passe une bonne soirée, du moins, elle pourrait être pire, largement. J'ose pas d'mander plus de choses, pourtant, qui sait, on pourrait bien avoir des intérêts communs. Suffirait p't'être d'une seule petite question pour qu'on découvre un truc de ouf, mais pour le moment j'reste plutôt calme. Ah bah là, c'est clair que ma promesse de ne pas me plaindre au bout de quelques bières est respectée. J'ai jamais été aussi peu bavarde. Ca s'trouve j'vais pouvoir l'aiguiller sur la situation de la ville, j'sais pas, ça nous fera une discussion, mais ça durerait pas longtemps non plus.

« Ouais ! La dernière fois que j’suis v’nu, c’’tait y a 14 ans alors… Crois-moi, c’est comme si je n’y avais jamais mis les pieds ! » Finit-il par me répondre. Je me mets à rire, brièvement tout d'même. Il y a 14 ans, j'avais quoi, 3 ans ? C'est dingue. Tu m'étonnes que je ne me souviennes pas de l'avoir vu avant son retour. Je devais encore m'faire pipi dessus la nuit la dernière fois qu'il est venu. J'avais sans doute encore des petites roues à l'arrière de mon vélo. J'sais pas. Je me calme quand même, parce que bon, j'ris toute seule le pauvre.

« Déso', j'réalisais juste qu'il y a 14 ans j'étais vraiment minuscule... Non. Ne dis rien. Je sais. Je suis toujours minuscule. Mais voilà, j'avais quand même moins de centimètre que là ok.. »

Ouais j'fais 1m55, on me repère surtout grâce à mes cheveux, c'est clair, parce que bon, j'suis aussi haute qu'une bouche à incendie sans déconner. « Mais heureusement que j’suis bien tombé, pas vrai ? » Dit-il après que je me sois quand même calmée, oui ça va, j'suis facilement dissipée, même si j'suis douée en cours. C'est là que j'devrais lui dire qu'il a fait le bon choix, qu'on est géniaux, chacun, et que c'est la meilleure chose que d'être parmi les Ghoulies. Pour moi c'est le cas, pour moi je ne me vois pas ailleurs qu'avec eux, carrément pas. Je lui adresse un sourire, puis je pose mon verre avant de finalement lui répondre.

« J'peux pas te dire que c'est faux en tout cas. Parce que même si j'ai rejoins officiellement les rangs qu'il y a peu, c'est une famille avec laquelle j'me sens bien.. Une vraie famille. J'sais bien l'image qu'on renvoie, à tout le monde, j'sais qu'on nous fuit comme la peste, ou le choléra, mais entre nous on ne se laissera jamais tomber. Même les Serpents se foutent sur la gueule, j'te jure, loyauté, loyauté.. J'pense qu'on mérite ce qu'on a aujourd'hui.. Parce que même si j'en faisais pas partie avant, j'trainais toujours avec eux, et ils ont en bavé.. Après.. J'sais pas si j'suis utile pour eux, enfin, à part mon katana, ma meilleure arme c'est l'informatique donc..  Enfin, j'fais de mon mieux, puis c'est cool, toi au moins tu peux aider avec les caisses. »

J'lève les yeux au ciel puis je reprends mon verre, j'me lamente pas sur ma vie amoureuse, ça va, puis j'sais que j'ai une utilité dans le fond, et qu'une des qualités qu'on m'enlèvera pas c'est la loyauté. J'ai toujours aidé mes frères dans le besoin, j'ai toujours défendu notre famille, et je continuerais de le faire jusqu'au bout. Peu importe si j'prends cher, j'ai pas peur de me prendre des coups, de toute façon. J'sais que Mason est apprécié, au moins par Maads, et bon, ça me suffit à moi, qu'il puisse la rendre heureuse en lui apprenant des trucs. J'suis contente qu'il soit là, même si je le dis pas ça veut pas dire que j'en pense pas moins, après tout. Voir Maads heureuse en faisant ce qu'elle aime, c'est suffisant à me combler, son sourire c'est tout ce qui m'importe. J'sais pas si ce que je dis rassure le jeune mécano, mais j'espère qu'au fond il pense avoir fait le bon choix. Je suis contente qu'il soit là, et j'sais qu'à partir de maintenant je serai là pour lui, parce qu'il aide ma meilleure amie, ouais, mais parce que ce soir, il m'a dérobé de la solitude dans laquelle je suis à chaque fois que je viens dans cet endroit.

« Tu pourras m’apprendre quelques trucs en informatique ? J’suis une bille sérieusement… Puis comme ça, j’pourrai te montrer quelques bases en mécanique ou même t’apprendre à conduire si tu veux ! » J'écoute Mason, puis je finis par sourire, un tout autre sourire que j'avais pu afficher, sans doute. Celui que je pourrais donner à quelqu'un qui voudrait m'apprendre davantage de choses en informatique, parce que pouvoir montrer mon univers à quelqu'un ça me procure la même joie. Je hoche la tête, c'est un deal. Le meilleur de la soirée, enfin j'suis pas mal contente d'avoir des bières cela dit. En parlant de bière, la mienne a finalement été consumée entièrement, je redemande donc un autre verre, puis je reporte mon regard sur ce frère Ghoulie.

« Ca marche pour moi. J'suis pas contre de l'aide d'ailleurs.. J'aimerai bien savoir conduire, on a une voiture, mais on utilise chacun la moto plutôt, enfin.. Ouais on est deux. Elle a jamais été conduite.. J'crois. Puis, tu peux pas me rendre plus heureuse qu'en me demandant de te montrer les rouages de mon terrain d'jeu préféré ! »

Cette foutue voiture. Le pire c'est qu'elle est pas si mal, mais comment veux tu qu'on sache conduire une bagnole. J'comprends pas trop l'esprit de M. et Mme. Wang. Ils nous couvrent de choses improbables juste pour se rassurer dans l'fond, pour s'dire qu'ils font pas si mal les choses. Donc on a une voiture. C'est ridicule. Une jolie maison, une voiture neuve, on fait un peu tâche dans le paysage, comme si juste à cet endroit précis, là, à mon adresse, le nord avait pris le contrôle sur le sud. D'un point de vue purement esthétique. J'adorerai pouvoir la conduire, cela dit, puis ensuite pouvoir être une des premières clientes de Maads. J'pourrais lui laisser le soin de s'en occuper, p't'être avec Mason, oui, j'imagine bien la scène finalement. Je récupère ma seconde bière, prenant une petite gorgée dès que j'ai celle-ci en main.

« J'crois que tout les gens que je croise sont pas spécialement doués en informatique, c'est sûrement pour ça que j'arrive à me faire autant d'argent de poche avec ça d'ailleurs, mais j'serai vraiment contente. J'sais je l'ai déjà dis, mais ce serait davantage plaisant de pouvoir t'montrer à toi, parce que bon, déjà  j'pourrais apprendre à conduire, puis t'es plutôt cool comme mec. »

Et c'est vrai. Il est plutôt cool. L'avantage c'est qu'lui aussi il vient d'arriver dans la famille, j'sais que j'traînais déjà avec eux, mais ça n'empêche que devenir l'une des leurs c'est tout de même différent, dans les lignes. J'faisais pas tout ce qu'ils faisaient, je prenais pas part de leurs activités, je les défendais, oui, je me suis déjà battue pour eux, avec eux, contre des vauriens des quartiers nord, ou ces vipères du sud, mais c'est différent. Mason et moi, dans le fond, on est quand même des « bébés ghoulies ». Même s'il a le double de mon âge, enfin, j'sais pas son âge, mais c'est certain qu'il a au moins 10 ans de plus que moi. Un allié inattendu, comme un grand frère. Mon petit partenaire de deal aussi. Finalement, j'regrette même plus de lui avoir foutu une baffe, parce que ce gars, bah, il m'est sympathique. Au moins, ça fait une histoire à raconter, et j'gagne un frère. Ouais. J'suis pas déçue, j'recommencerai si c'était à refaire. Sans rien changer. Quoi que, j'lui aurais offert une bière qu'à lui, peut-être. J'sais pas.

« À cette baffe qui m’a fait rencontrer une vraie petite sœur… » Je n'aurai jamais cru autant sourire à la première rencontre avec quelqu'un. Parce que bon, c'est vrai, j'le connaissais pas vraiment avant. J'ris un peu, et j'avance mon verre, faisant un petit clin d'oeil à Mason.

« À cette baffe qui m’a fait rencontrer un vrai grand frère. »

J'souris, ouais, ça me semblait judicieux de lui rendre la pareille. Parce qu'il est là. Comme un grand frère. Grâce à une baffe. Ouais, damn, c'est vraiment pas commun. J'suis contente. Heureuse. J'sais pas. La soirée avait pas trop mal commencée, j'dois dire, mais bon, comme d'hab' j'avais retrouvé ma solitude sur la piste, donc finir aux côtés de Mason était quand même pas mal. Puis, putain, sérieux en fait, j'y pensais plus, mais y'a quand même ce gars qui a eu le cran de me toucher le derrière. J'veux dire j'étais tellement sur les nerfs qu'Mason en a fait les frais, mais le gars il traîne peut être toujours là. J'sais pas. Mais on en est là. Nous deux, au bar, à boire des bières. On a passé la soirée à faire des deals, puis le dernier nous a mené à un deal davantage intéressant. Quelque chose qui nous permettrait d'en apprendre à l'autre, mais aussi de montrer l'un à l'autre chacun un domaine qui nous plaît. J'dois dire qu'j'ai déjà montré des trucs aux gens, mais jamais vraiment appris des choses, les gens trouvent ça trop compliqué, ou alors ils se contentent de s'offrir mes services sans vraiment s'y intéresser.

La soirée s'est poursuivie. La compagnie de Mason était plaisante, la musique avait cela dit augmenté en terme de volume, puis y'avait davantage de monde, alors on est allé dehors, puis bon, mon nouveau grand frère pouvait ainsi fumer sans gêne. On a parlé un long moment, l'un et l'autre, assis sur le bord d'un magasin non loin, qui avait surement fait faillite d'ailleurs. Il avait évoqué son passé, dans un élan de partage je lui avais aussi raconté des choses, puis dans une promesse silencieuse, je pense, on s'est chacun dit que ça resterait dans un coin de notre tête, quelque part, sans que l'on en parle à qui que ce soit. Un passé douloureux. Un présent douteux. Je pense que même si j'suis jeune, ça change pas qu'il pourra compter sur moi. Je lui ai raconté pour mon ex, sans me plaindre, parce que bon, j'lui ai donné ce qu'il méritait, à ce gars, lui c'était volontaire et mérité, contrairement à mon premier geste envers Mason. J'lui ai dis pour ma famille, pour mes parents et mon jumeau, puis j'ai parlé de Maads. Finalement j'ai été interrompue par un appel de mon frère, en pleine conversation, et j'ai dut couper court à la soirée. « Mon frère.. J'dois y aller. On s'tient au courant ? Pour cette première leçon de conduite. » avais-je dis avant de laisser cet autre frère, du coup, récupérer mon numéro, pour m'tenir au courant de quand on irait remplir la première partie de notre deal. « Cela dit.. On peut marcher jusqu'au quartier ensemble.. » Ainsi on a continué un bout d'route ensemble, puis au bout d'un temps j'ai fini par rejoindre ma maison, saluant Mason avant d'rentrer. « J'attends ton message ! Bonne nuit « grand frère » ! » C'est sur ces mots que j'ai disparu, rentrant dans cette demeure qui tâche le paysage du southside, pour pouvoir retrouver mon frère qui avait visiblement besoin de moi.